Mercredi soir 16 août, j’ai dit au revoir à mon chat. Elle avait une tumeur depuis plusieurs mois qui semblait bénigne et en surface jusqu’à tout récemment. Ce jour là, elle nous a donné plusieurs signes irrévocables que c’était le moment de partir. Nous avons pris rendez-vous chez le vet pour l’euthanasier et tout s’est bien déroulé. Évidement, je suis triste, et heureux à la fois qu’elle soit partie comme ça, reconnaissant aussi pour ce qu’elle nous a offert pendant les 15 années que nous avons partagées.
Chelsey n’avait pas une once de méchanceté en elle. Pure et innocente, elle nous aura enseigné la suprême importance de la douceur et de la gentillesse. Elle aimait tout particulièrement la compagnie des femmes. Peut-être parce qu’elle vivait avec trois mâles, Dominique, Gato et moi. Lorsque des amies de la gente féminine passaient un moment à la maison, elle se pointait le bout du nez et venait chercher leurs caresses. Ceci dit, tous les gens qui l’entrevoyaient la trouvait extraordinairement belle, avec son pelage tigré et ses grands yeux vert émeraude.
Ultra sensible, elle agissait tel un baromètre pour nous. Lorsque l’atmosphère entre Dominique et moi était particulièrement harmonieuse, que l’énergie circulait librement, elle s’approchait et prenait place parmi nous, se roulait sur le dos en ronronnant, nous jetant des regards obliques amoureux, dans une forme extase digne de Sainte-Thérèse d’Avila.

La petite histoire
Chelsey était une chatte délicate et nerveuse, des plus timides. En fait, pour la majeur partie de sa vie, elle était carrément farouche. Au cours des dernières années, les visiteurs qui l’apercevaient pour la première fois s’étonnaient que nous avions un deuxième chat.
Je crois qu’elle a été sevrée trop jeune. Lorsqu’elle est arrivée dans notre famille, j’avais déjà Gato depuis deux ans. Il l’a adopté comme son propre enfant, la lavait de la tête au pied et s’en occupait du matin au soir. Je me réjouissais qu’il dispose d’un tel instinct « maternel » et qu’il prenne soin d’elle avec autant de diligence. Jusqu’à ce qu’elle ait un an environ. À partir de ce moment, il l’a prise plutôt comme compagne de jeu. Le jeu étant de la terroriser, en quelque sorte. Nous n’avons pas trop su comment agir dans cette situation. Alors nous les laissions faire … pensant naïvement qu’elle apprendrait à prendre sa place toute seule.
Déjà nerveuse, elle devint alors complètement sauvage et craintive, détalant comme un lapin dès que nous faisions le moindre mouvement. C’était agaçant pour tout dire. Pourtant, c’est elle qui subissait l’agressivité territoriale du grand matou. Jusqu’à ce que mon amie Carole nous donne des conseils pour modifier l’attitude de Gato, et pas seulement rester là à regarder sans rien dire. Nous avons sanctionné ses mauvais comportements, le reléguant à la salle de bain pendant des périodes de 10 à 15 minutes, à chaque fois qu’il l’intimidait. Ça a marché, et petit à petit, elle gagna en confiance. À partir de ce moment, il n’était pas rare que les deux chats paressent côte-à-côte.
Le grand départ
Arrivés chez le vétérinaire, nous avons signé les papiers et réglé la note d’avance. Je commençais à être fébrile. Bien que j’ai eu plusieurs chats par le passé, ils sont toujours sortis de ma vie indirectement, adoptés par d’autres, etc. Pour la première fois, j’allais dire au revoir à un membre de ma famille de cette façon …
On nous explique la procédure. D’abord elle va recevoir une première injection intramusculaire, un anesthésique puissant. Ensuite nous restons pendant une dizaine de minutes, seuls avec elle. C’est le moment de faire nos adieux. Lorsque la vétérinaire revient pour injecter la substance finale, fatidique, elle commence par raser une patte, celle-là est intraveineuse. Place le garrot, puis, coup de théâtre ! panne de courant. Dominique doit tenir un instrument lumineux – le genre de machin utilisé pour examiner les oreilles – afin d’aider la vétérinaire à y voir clair et poursuivre l’opération.
Nous ne pouvons nous empêcher d’y voir un clin d’œil, étrange soit, ou alors peut-être qu’il s’agit de notre propre surcharge émotionnelle, telle une onde électromagnétique, qui aura fait sauter un fusible … Le courant revient. À l’aide d’un stéthoscope, le docteur vérifie que le cœur a cessé de battre, puis nous laisse seuls tous les trois.
Bien sûr, j’ai beaucoup pleuré, le genre de pleurs qui annule toute pensée, qui nous sort de la tête à 100%. J’avais des flashs : Chelsey sur le dos, avec son doux regard rivé sur nous, ou encore son rituel matinal, lorsque, sachant que je m’apprêtais à partir pour le boulot, elle se ruait sur le sofa et adoptait une pose qui disait clairement que je n’allais pas quitter la maison sans d’abord lui offrir une séance de tendresses …
Là, son corps inerte me donne l’impression qu’elle respire encore. C’est une hallucination bien entendu. Des idées saugrenues me traversent l’esprit. En passant et repassant ma main sur elle, je comprends pourquoi certaines personnes empaillent leurs animaux – je sais, c’est macabre et complètement fou. Je me rappelle également le Bardo Thödol, le livre tibétain des morts, et me dis qu’il ne faut peut-être pas trop pleurer, qu’il ne faut pas la retenir … peine perdu, je suis déconfit.
En sortant, nous faisons un tour de parc, je ne peux pas arrêter de pleurer. Nous rentrons. Rhum and coke, assez fort. Au moment du couché, je sanglote jusqu’au sommeil. Le lendemain matin au travail, j’en parle à mon amie et collègue Bibiana, qui elle aussi a perdu un chat important pour elle, il y a quelques années déjà. Là encore, je pleure.
Ces larmes ne sont pas exactement nostalgiques, elles me ramènent même plutôt au moment présent, à ce qui reste en moi de cet être précieux qui m’aura appris une forme d’amour pur, inconditionnel et intemporel.
Merci mon amie, merci pour tout.