3 au 10 septembre 2016
Le cadeau
Tout a commencé en mars dernier, lors d’une soirée plutôt tranquilos, à l’occasion de mes 40 ans. Mon ami Jean-François était à Vancouver depuis quelques mois déjà. Suivant un désir de changement, il a fait le grand saut et est déménagé là bas pour entreprendre un nouveau chapitre. Sa charmante partenaire de vie, Geneviève, n’étant pas encore allée le rejoindre, pouvait donc, elle, être de la fête.
En arrivant chez moi, elle me remet une carte de souhait, griffonnée à même une feuille lignée pliée en deux. À l’intérieur, un message m’annonce qu’un cadeau spécial m’attend pour « souligner les nombreuses années qui restent devant nous ». Jean-François, un être complexe – c’est le moins qu’on puisse dire – peut démontrer une générosité hors norme. Eh oui, il m’aura offert un aller-retour à Vancouver. J’en demeure bouche-bée, même aujourd’hui, longtemps après mon retour à Montréal.

La scène
Le paysage, oui c’est beau. Mes amis qui m’accueillent/m’hébergent habitent au douzième étage d’une tour-appartements donnant sur English Bay, un endroit pour le moins paradis-iaque 😉 À mon arrivée, début septembre, la haute saison touristique est terminée. La plage sinueuse de la « Baie des anglais » est ornée du Sea Wall, bande de béton longeant la rive avec des voies dédiées d’un côté aux marcheurs et joggeurs, et de l’autre aux cyclistes.
Mes amis m’expliquent que le mix tours à bureaux et tours résidentielles favoriserait une vie de quartier animée, avec des gens qui circulent dans les rues à toute heure du jour comme du soir, même au centre-ville.
Sitôt mes bagages déposés, nous allons nous ravitailler dans le West End, à deux pas d’où ils habitent. Nous mangeons des ramens délicieux. Les amateurs de tout-ce-qui-vient-d’Asie que nous sommes sont ravis. J’ai l’impression que trois restaurants sur quatre et qu’une personne sur deux ici sont asiatiques. Après les ramens, nous faisons un tour dans Stanley Park, où faune et flore, adeptes de plein air et joggeurs cohabitent. On se prend en photo avec des souches de séquoia gigantesques, comme il se doit.
On finit cette première journée sur le sable. Caractéristique inédite, des billots de tailles variables meublent la plage. Les badauds choisissent celui qui leur convient avant de s’y appuyer, comme s’il s’agissait de divans. On m’explique : non loin d’ici se trouve une entreprise de drave, où sont transportées des centaines de pitounes (troncs d’arbre coupés) sur l’eau tous les jours. Plusieurs de ces billots aboutissent sur la plage et avec le temps ont été réassignés en tant que mobilier urbain.

Je me sens assez détendu. Le sable y est pour quelque chose. J’aime aussi particulièrement prendre des vacances à ce moment de permutation entre l’été et le « retour », à contre-courant pour ainsi dire. Ça me fait l’effet d’une recharge, pour affronter la saison de toutes les campagnes (de publicité, d’abonnement, de renouvellement, de dons, de levée de fonds, « name it ») au boulot.
JF et Geneviève ont pris des jours de congé, en plus de la fête du travail, pour profiter de mon passage. Ils ont accueilli plusieurs amis depuis qu’ils sont déménagés ici. Après moi, je crois qu’il y aura une dernière personne à faire un séjour à moyen terme. Ensuite, ils anticipent une période d’accalmie.
Là, je suis crevé. L’avion, le décalage horaire (3 heures plus tôt qu’à Montréal), la marche au parc, les breuvages au bord de la mer, m’ont tué. Je me vautre, sans autre forme de procès, dans l’espace douillet que mes amis ont aménagé pour moi au salon, et tombe dans l’inconscience.

Panda Market
Je ne suis plus certain de l’ordre des événements. Au deuxième ou troisième jour, nous passons un bout de soirée au Panda Market, grand marché au puces asiatique à ciel ouvert un peu en dehors du centre-ville, dans le coin de Richmond. On y trouve toutes sortes de gadgets et cossins, dont des « covers » de téléphones. J’en trouve un pour mon iPhone 4 (un autre cadeau d’ami, merci V) à seulement 2$.
On se perd un peu pendant un moment. Chaque recoin du marché est allumé par des leds aux couleurs changeantes. On admire le courage de jeunes gens montés sur une scène énorme pour un concours de karaoké. Puis il y a l’allée de la bouffe. Les kiosques rivalisent de mets alléchants à petit prix ; on se bâtit des assiettes par ici, par là. Dumplings frits au porc, dumplings vapeur aux crevettes, nouilles croustillantes, mia-me !

Wreck Beach
Un autre moment fort du voyage fut l’après-midi passé à Wreck Beach. On atteint cette plage, située non loin de la University of British Columbia (UBC), en empruntant un escalier de quelque centaines de marches, bordé d’une végétation qui rappelle l’ère jurassique.
C’est la rentrée des classes, alors il y a un monde fou. Je déniche un coin tout près de l’eau où se poser avec notre casse-croute. Il fait un temps splendide. Wreck Beach est réputée pour sa beauté et pour sa « largesse d’esprit ». Bien que ce ne soit pas parfaitement légale, la nudité est tolérée. On y trouve un mix joyeux de personnes en maillot, d’autres plus habillées et d’autres encore avec rien sur le dos. Des jeunes, des vieux, des enfants, des moins beaux, des plus beaux. Et partout planent les effluves de marijuana. C’est on ne peut plus relaxe.
Je quitte ce petit bout de paradis après m’être procuré in extremis une splendide jetée surdimensionnée venant d’Inde, arborant une riche illustration avec des figures animales, juchées dans un arbre, pour seulement 15$.
À Vancouver, le thermomètre affiche constamment 16 degrés Celsius, tous les jours. La température ressentie, elle, varie grandement. Parfois c’est gris et humide ; à d’autres moments, nous portons seulement le short et la camisole, toujours à 16 degrés. À Wreck Beach, je me suis même baigné. Enfin, partiellement, jusqu’à la taille. Plusieurs locaux eux s’adonnent à la baignade totale.
Ça m’a pris tellement de temps pour descendre jusqu’à la plage, qu’au retour, je décide de jogger en remontant les marches. J’aurai mal aux quadriceps pendant plusieurs jours par la suite, ouche (!)
East End
Ce soir là, nous allons souper dans le East End, un quartier qui rappelle un peu le Mile End de Montréal. On y trouve un « patch-work » d’ambiances hétéroclites. Petits commerces et restaurants à profusion. Les amis ont déniché une place de tapas typique d’Espagne où on sert du bon vin. Un chanteur plutôt cute et très talentueux accompagne notre repas d’une musique traditionnelle bien rythmée.
Jean-François et moi terminons la soirée en retournant sur la plage, à discuter longuement, semi-conscients peut-être que ce voyage est une occasion unique, qui ne se reproduira que trop rarement.
Le lendemain, ayant un peu trop fêté la veille, JF semble bien parti pour dormir tout l’après-midi. Geneviève, qui bosse de la maison, n’arrive pas à se concentrer, avec moi dans le séjour où se trouve sa station de travail.
J’ai beau avoir emprunté de leur bibliothèque un bouquin qui m’aspire complètement – A New Earth d’Eckhart Tolle – elle se retourne constamment pour partager réflexion après réflexion. Éventuellement, elle me propose de sortir prendre l’air. Je suis ravis.
Nous arpentons les rues moins commerciales qu’elle connait bien maintenant. Elle me fait découvrir des quartiers assez différents les eux des autres. Ici la végétation est florissante à l’année, même si la plupart des arbres perdent leur feuilles l’hiver venu. On trouve des plantes tropicales un peu partout dans les platebandes, dont les résidents semblent prendre soin avec fierté. Plusieurs coins sont aménagés avec des chaises et petites tables, invitant les passants à prendre une pause et discuter.
Sur notre parcours, nous rencontrons une sorte de convention chinoise en pleine rue. N’ayant pour ainsi dire « pas d’horaire » nous en profitons pour nous y attarder. Une prestation folklorique, des jeux de majong en plein air et surtout une grande station de médecine chinoise. En deux temps trois mouvements, Geneviève et moi obtenons une consultation gratuite avec des médecins chinois en formation.
Alors que mon amie obtiens les soins d’une « vraie » chinoise, qui va jusqu’à lui apposer des trucs dans les oreilles, j’ai droit, pour ma part, au seul occidental de la cohorte (!) qui me conseille de faire des redressements assis – puisque les abdos, c’est ça qui nous rend sexy nous les hommes. D’accord (not). Jean-François nous rejoint, heureux de s’être permis un long repos.
Le voyage dans le voyage
Mon ami m’a réservé une autre belle surprise. Il s’est dit que ce serait une bonne idée de profiter de mon passage au BC pour aller dans les montagnes. Il a donc loué un chalet à des gens qu’il a rencontrés dans un camping, quelques semaines plus tôt. Nous y passerons à peu près 24 heures.

Sea to Sky
Pour s’y rendre, nous empruntons la Sea to Sky Road. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une route scénique qui débute au niveau de la mer, pour se rendre « dans le ciel ». Le chalet se trouve à quatre heures de Vancouver, au nord. Le paysage est tellement beau qu’on ne se rend même pas compte de la durée du trajet. Nous nous arrêtons à plusieurs endroits, prendre l’air, et des photos aussi.
Rendu à destination, j’ai le souffle coupé. C’est plutôt l’inverse en fait, je n’en finis plus de souffler – inspire – expire – ahhhhh. L’air est pur. Ici, pas de smog ni d’électro-smog. Les micro-ondes et le wi-fi ont laissé place aux vibrations de la nature. J’en ai presqu’un choc.
La conversation s’amenuise. Nous entrons chacun à notre façon dans une phase contemplative. Ce n’est pas très difficile avec le paysage majestueux qui nous encercle. Nous voyons même au loin des pics sans végétation et saupoudrés de neige éternelle. Ce n’est pas les rocheuses, mais ça fera l’affaire 🙂
Un véritable show de lumière se déploie devant nos yeux ahuris : les rayons du soleil percent à travers le ciel mi-couvert et provoque un jeu de chatoiement sur la surface bigarrée des montagnes dressées en face. J’éprouve une sensation de révérence. Nous observons longtemps et silencieusement le spectacle comme dans un état second.
La nuit tombée, nous rentrons.
Nous surfons la vibe tout en enlignant repas et bières.
Encore une surprise, Jean-François a pensé que j’apprécierais un masque hydratant coréen. Il ne s’est pas trompé. On immortalise ça pour les copains. Parce que tsé, c’est tellement épeurant que ça en est comique (!)

Au départ de cette parenthèse temporelle, nous croisons un bébé ours. Dans notre descente tranquille avec l’auto, il traverse la route de gravelle, juste devant nous. À l’intérieur du véhicule, nous sautillons sur notre siège d’excitation. J’y vois un bon présage, comme un autre cadeau. Une façon de me faire comprendre que nous faisons aussi, à notre façon, partie de la nature. Qu’il y a un espoir pour nous, les humains.

Seul
Inévitablement, mes amis retournent au boulot et je me retrouve seul durant le jour.
S’il y a bien quelque chose que j’apprécie en voyage, c’est parcourir intuitivement une ville que je ne connais pas, à pied, en solitaire.
J’amène tout de même avec moi A New Earth, qui deviendra un fidèle compagnon. Je lis sur les bancs, sur la plage, dans un petit resto sans prétention – Lanna Thai – où le personnel charmant me sert un cousin du Pad Thai dont j’oublie le nom. Un client viendra me voir à la fin de son repas : « You look familiar. Do we know each other? » Je lui explique que non, je suis un touriste. Il a vu que je lisais le livre de Tolle, il anime un groupe de discussion autour de son œuvre. Il me remet sa carte – Bob Molavi, Happiness Coach.
« There is a deep interrelatedness between your state of consciousness and external reality. Do you want peace or drama? » p.76
« In a genuine relationship, there is an outward flow of open, alert attention toward the other person in which there is no wanting whatsoever. » p.84
« Awareness is the greatest agent for change. » p.99
« To love is to recognize yourself in another. The other’s « otherness » then stands revealed as an illusion pertaining to the purely realm, the realm of form. The longing to be recognized, not on the level of form, but on the level of Being. » p.105
Plus tard sur la plage, je me ferai accosté à nouveau par des inconnus. Ayant aperçu la couverture du livre, ils ne pourront faire autrement que de partager leur enthousiasme à propos de cette lecture qui aurait « changé leur vie ».
Le calme
Je marche et marche dans les belles rues propres de Vancouver.
Bien qu’il y ait du trafic, les conducteurs ne se prennent pas la tête. Au West Coast, on ne klaxonne pas. Tout le monde que je croise semble paisible, à son affaire, relaxe. Un air de sérénité plane.
Et partout, des hommes et des femmes en super shape. Les hommes, surtout, arborent tous la même forme : le V. Près de la plage, les jeunes gens qui joggent ou se déplacent à vélo n’hésitent pas à retirer leur top. Étant de nature à regarder, voire scruter mon entourage, je me retrouve plus souvent qu’autrement béat, carrément la bouche ouverte, la mâchoire disloquée, devant un tel tableau.
Je suis frappé tout à coup d’une compréhension. Ces gens tranquilles et souriants, respirant la santé, ont quelque chose en commun : ils sont riches.
Je croise à certains endroits du centre-ville, comme il se doit, des gens moins fortunés. Des clochards, junkies et prostituées. Autant de personnifications de l’archétype de la victime dans nos sociétés.
Je reprends ma lecture.
« In a world of role-playing personalities, those few people who don’t project a mind-made image, but fonction from the deeper core of their Being, those who do not attempt to appear more than they are but are simply themselves, stand out as remarkable and are the only ones who truly make a difference in this world. They are the bringers of the new consciousness. » p.107
« If you can be absolutely confortable with not knowing who you are, then what’s left is who you are, the Being behind the human, a field of pure potentiality rather than something that is already defined. Give up defining yourself. » p. 108
Réflexion
Au delà des différences entre Vancouver et Montréal, ce sont les ressemblances qui m’ont le plus frappé.
Je résumerais en proclamant le retour du principe féminin, ou féminin sacré (Sacred Feminine).
Les valeurs progressives font leur chemin, j’en suis maintenant convaincu. Malgré les reculs toujours possibles, notre société occidentale montre des signes d’assouplissement envers elle-même.
Au West End comme dans le Mile End, de beaux jeunes hommes se promènent avec des poussettes, accompagnent leurs enfants au parc, et de façon générale, démontrent une attitude aimante, douce et sans gène, envers leurs proches. Plus il me semble que lorsque j’étais petit.
Il revient à chacun d’entre nous de faire venir ici la « nouvelle Terre » dont Tolle parle dans son livre. Soyons aujourd’hui tel un conduit ouvert, non-obstrué, pour que la grâce du cosmos tout entier nous traverse, en demeurant – le plus souvent et le plus simplement – présent à notre être véritable, éternel et sans peur, en laissant tomber les masques de l’égo, nos stratégies et nos scripts favoris.
Merci Eric!, Beau texte et belles images, très intéressant!
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