Le conducteur
Nous voici à mon deuxième projet, Véhicules et Scalps, exposé originalement à la galerie BAC en 2013. Véhicules, c’est l’idée d’aller quelque part, de s’émanciper, la vitesse. Et Scalp ça représente ce qui nous manque comme individu. Maintenant je parle surtout d’état-province versus état-pays. Avant je disais Véhicules et Scalps.
Si tu as un véhicule qui s’en va quelque part, ça prend quelqu’un pour le conduire. À ce jour, c’est moi qui le personnifie, donc on voit un homme. Mais ce personnage n’a pas de sexe pour moi ; c’est vraiment l’idée de quelqu’un qui va conduire le véhicule qui va nous amener au pays. Dans l’optique où ma démarche est autant une démarche de libération de moi-même que la libération nationale. Le fait de l’interpréter je trouve ça surtout pertinent en début de carrière. Ça commence avec moi en tant qu’individu et se poursuit par le personnage mythologique que j’invente et dans lequel je me projette.

Le scalp représente les artifices, la parure, la mode. J’ai essayé de créer des images séduisantes. Vu que je suis un homme attiré par les femmes, j’ai créé des images de femmes esthétisées, avec des scalps en or, et une emphase sur les cheveux. Le scalp aussi représente une honte, après être scalpé, habituellement on en crève. Et pour ceux qui survivraient, ça ne serait pas très glorieux. C’est un peu cette idée là, mais esthétisée, comme quelque chose de noble, comme si on était passé par-dessus, comme si on avait fait de cette blessure un objet de mode.
Scalp, ça renvoie à l’idée d’un état-province incomplet, une blessure de la non-émancipation, de la non-liberté. Il s’agit d’une partie de nous qu’on ne possède pas, qu’on n’a pas. C’est par l’indépendance qu’il faut aller reprendre cette partie manquante, à mon point de vue. C’est tellement personnel et en plus cette idée là d’indépendance, elle n’est vraiment pas « à la mode » !
Mais voilà, je fais mon truc, selon ce que je ressens, comment je le sens. Ça serait la moindre des choses, comme tous les peuples qui ont décidé de faire des pays. Il y en a de plus en plus. On peut décider d’être un pays et de se développer par nous-mêmes ou de rester à l’intérieur du Canada et de faire partie d’une identité multiculturelle en construction aussi. Je ne suis pas inquiet pour la survivance de notre identité. Elle va se mélanger dans tous les cas. J’ai l’impression que ce serait plus facile de la développer par nous-mêmes avec un État qui contrôlerait l’entièreté du territoire, qu’à l’intérieur d’une autre identité – celle du Canada.
Le véhicule
Un mélange de cervidés et de Skidoo. Ça renvoie aux créateurs d’ici et aux grands orignaux, maîtres du territoire depuis toujours. En croisant les deux, c’est la machine façonnée par l’homme mais aussi bien vivante, qu’on ne contrôle pas tout à fait. Et c’est l’idée d’un conducteur qui peut chevaucher différents types de véhicules. Il n’y a pas nécessairement juste une façon de se rendre au pays, d’investir le territoire au-delà du physique.
On voit une espèce de bolide orignal-wapiti, dans des paysages du Québec. En fait ça c’était la première fois. Avant j’étais très studio. Et là, il s’agit de photos de voyage dans lesquelles j’ai intégré des éléments d’infographie. Là je commençais à jouer avec la vraie vie.

Et puis il y a des œuvres plus récentes que j’ai ajoutées au corpus parce que je ne chevauchais jamais vraiment le véhicule. J’étais toujours à côté et on voyait les sculptures. C’est un uniforme aussi beaucoup moins stéréotypé. Le fléché est intégré dans la traînée et le conducteur fait plus partie du véhicule qu’auparavant. Il y a cette idée d’un diable devant le véhicule. Comme dans la Chasse galerie où il se trouve devant la chaloupe. C’est le pacte avec le diable. Dans mon œuvre, le véhicule noir et la bête lumineuse représente l’espèce de bête politique qu’on refuse de dompter, qu’on refuse de prendre. Comme si on avait peur de prendre le pays. Il y a quelque chose de démonisé dans ce rapport là au politique … alors que le diable te permet d’atteindre, d’obtenir quelque chose.
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Image du haut : Simon Beaudry, Le déploiement de la bête lumineuse, 2013, 1 image d’un polyptyque de 5 images, impression jet d’encre, 30 cm X 150 cm, édition de 3. Photographie Alain Desjean, retouches : Étienne Fortin, Centre d’art Sagamie.
Crédits additionnels pour Chasse-galerie : direction artistique : Simon Beaudry, conception : Simon Beaudry et Martin Bernier (Bos), production : Gilles Grondin, Mélanie Jolin (MNQ), Gabrielle Harvey (Bos), photographie : Alain Desjean, assistant : Don Loga, retouches : Gabriel Carbonneau / Le Visual Box, accessoires : Pascale Friedman, stylisme : Sarah Hall-K, maquillage-coiffure : Marie-Ève Dompierre, ceintures fléchées : France Hervieux, impression et montage : Graphiques M&H et Encadrex.